Une scission des soins de santé préservant la solidarité fédérale est sans doute bien intentionnée, mais essentiellement dysfonctionnelle. C'est être pris dans un piège nationaliste, dans lequel la solidarité entre les personnes est remplacée par la solidarité entre les entités fédérées. Une fois ce pas franchi, la scission de la sécurité sociale ne sera plus loin.

Cela a recommencé à la fin du mois de juillet: la énième discussion sur les quotas quota de médecins diplômés a rejoint le bal des informations communautairement connotées sur les soins de santé belges. La liste comprend également le niveau plus faible de dépistage du cancer du sein en Belgique francophone, le nombre moins élevé de dossiers médicaux globaux tenus par des médecins généralistes, et le plus faible taux de vaccination à Bruxelles. Mais aussi : le morcellement complet de notre politique de santé, où les huit ministres (et un secrétaire d'État) ne savaient pas exactement quelle était leur compétence dans la gestion de la crise du coronavirus. Le résultat a été une réaction tardive, alors que c'était une réponse rapide qui était nécessaire.

Les réformes sont à l'ordre du jour. Pour beaucoup, la refédéralisation n'est plus un tabou. D'autres veulent une scission radicale par communauté, y compris le financement. Finalement, un compromis a été proposé, selon lequel les collectivités fédérées se voient accorder une compétence presque totale sur la politique de santé, mais en préservant la solidarité fédérale.

Politique régionale et la solidarité fédérale

Le "Note politique Soins de Santé: perspective 2030" du professeur Jan De Maeseneer est un exemple d'un tel compromis. Afin de désamorcer d'emblée les tensions communautaires, la bourse fédérale serait répartie selon des critères démographiques et économiques : les régions ayant le plus de besoins recevraient davantage de ressources, sur une base objective. Le choix entre deux systèmes différents pour les Bruxellois serait évité par le transfert des compétences des communautés vers régions.

Que le pilier de notre société fédérale, à savoir la solidarité entre les Belges par le biais de la sécurité sociale fédérale, soit ainsi préservé est bien sûr à saluer.

En revanche, qui déterminerait ces critères objectifs et leur pondération? Le professeur De Maeseneer plaide en faveur de décisions fondées sur des avis scientifiques, mais il est à craindre qu'en fin de compte, ce soit les responsables politiques qui doivent prendre la décision finale. Surtout si ces critères conduisent à ce que certaines régions reçoivent une part plutôt importante du gâteau.

C'est le talon d'Achille de tous les modèles de compromis. On sait depuis longtemps que les nationalistes flamands ont des difficultés avec le financement fédéral de la solidarité. Pensent-ils vraiment que cela s'améliorera une fois que la politique de santé sera scindée, alors que les Flamands n'auront plus d'impact sur l'élaboration de la politique francophone en la matière ?

Les critères objectifs de la clé de répartition ne mettront donc pas un terme à l'appel à la scission effective de cette partie de la sécurité sociale. Au contraire.

Pas de remise en cause de La solidarité fédérale

La conséquence est que, dans ce pays, la contribution du patient aux médicaments, aux visites chez le médecin, aux frais d'hospitalisation, etc. dépendra de la langue qu'il parle. Une fois que cette partie de la sécurité sociale aura été scindée, ne sera-t-il pas facile de vendre la division du reste de la sécurité sociale ?

Ce sera très facile, puisque la solidarité entre les personnes aura de plus en plus été remplacée par la solidarité entre les régions. Il y a déjà suffisamment de clichés, comme l'image des francophones paresseux qui, dans leur hamac, non vaccinés et sans médecin traitant, reçoivent quelque 6 à 7 milliards d'euros par an de transferts depuis la Flandre. Pourtant, on dispose de suffisamment de chiffres montrant que les transferts au sein des régions sont beaucoup plus importantes que les différences entre les régions (Decoster et Sas, 2019).

Responsabilité personnelle

Les différences politiques peuvent également être mises en perspective. Par exemple, les régions obtiennent des scores similaires dans l'organisation de la consultation oncologique multidisciplinaire, les indicateurs de soins centrés sur le patient, le pourcentage de patients diabétiques dans un parcours coordonné... (Rapport annuel 2019 du KCE). Étant donné que les différences démographiques et économiques entraînent également des différences dans les politiques locales de santé, leur existence n'est pas anormale.

Ces différences ne deviennent anormales qu'en cas d'abus. Mais là aussi, la responsabilité doit incomber aux personnes et aux organisations (établissements d'enseignement, hôpitaux...), et non à une communauté ou une région sur base de généralisations (parfois mal intentionnées).

Ceci étant, le laxisme dont font depuis vingt ans preuve les responsables politiques francophones avec le respect du quota fédéral de médecins relève d'un sérieux manque de loyauté. Et cela devrait être sanctionné efficacement, au lieu d'être chaque fois régularisé (ou copié par l'autre communauté).

compétences homogènes et tubes de dentifrice

Les partisans d'une régionalisation accrue font valoir que beaucoup de choses ont déjà été scindées et que le dentifrice ne peut pas être remis dans le tube. L'objectif est d'obtenir des blocs homogènes de compétences, la poursuite de la scission est donc la seule voie possible pour eux. Ce qu'ils ne nous disent pas, c'est que l'autorité fédérale dispose encore de la majeure partie du budget (soit la quantité de dentifrice qui reste dans le tube). En outre, vu l'inertie déjà provoquée par le morcellement actuel, c'est faire preuve d'étroitesse de vue que de plaider pour une nouvelle scission, fût-ce  au moyen d'une mordante métaphore de salle de bain.

Un autorité fédérale forte plutôt qu'un dysfonctionnement régionalisé

Nous préconisons une refédéralisation de la politique des soins de santé, assortie d'une autorité fédérale plus efficace. Nous sommes loin d'être les seuls dans ce cas. Le sondage Ipsos de juin 2020 montre que 71% des Belges, dont une majorité des électeurs du Vlaams Belang et de la N-VA (respectivement 70% et plus de 50%), veulent la même chose. Tout comme une grande majorité de 85% des directeurs d'hôpitaux (80% néerlandophones, 90% francophones).

Ces signaux importants ne peuvent être ignorés rue de la Loi. Parce qu'en fin de compte, c'est le patient et les prestataires de soins de santé qui sont au centre, non les intérêts politiques purement partisans et encore moins la langue maternelle.