Un gouvernement fédéral avec une majorité dans les groupes linguistiques néerlandais et français n'est une "solution" que pour ceux qui croient au mythe des deux démocraties. Non seulement ce concept est antidémocratique, car il ignore Bruxelles et la Communauté germanophone (10% de la population), mais il offre également moins de stabilité qu'espéré. Des partis fédéraux, qu'ils se présentent ou non dans une circonscription fédérale, garantiraient plus de démocratie, et plus de stabilité.

L'idée que le gouvernement fédéral doit être composé de partis disposant d'une majorité tant du côté flamand que du côté francophone fait partie des "solutions faciles" pour mettre un terme à l'inertie qui fige la Belgique.

Tout d'abord, on part du mantra bien connu selon lequel la Belgique serait constituée de deux démocraties.  Non seulement cette idée est constestable,  mais de toute façon, on se heurte inévitablement à deux angles morts dans l'argumentation: la petite Communauté germanophone et la Région de Bruxelles-Capitale, plus grande. Cela signifie que  dans une telle colation "miroir", le choix de quelques 1,2 million de personnes (tout de même 10 % du pays) est systématiquement ignoré.

plus stable ?

Deuxièmement, ce système n'offre aucune garantie de stabilité au gouvernement fédéral.  Si l'on veut que le gouvernement de la Communauté française ou de la Région wallonne ait son mot à dire dans les négociations fédérale,  cela conduirait dans la situation actuelle à un gouvernement fédéral à six partis, à savoir : N-VA, CD&V, MR, Open VLD, PS et Ecolo. Un parti de moins que la coalition Vivaldi, mais toujours un peu moins de terrain d'entente en termes de contenu.

N'oublions pas non plus qu'en 2020, Joachim Coens, entre autres, a appelé à une telle coalition miroir. Ceux qui ont lu avec un peu d'esprit critique n'ont pu que conclure qu'à l'époque, cela revenait à une coalition entre socialiste, libéraux et N-VA. Or, celle-ci avait déjà été tentée plusieurs fois, pour échouer à chaque fois. C'est l'une des nombreuses raisons de la longueur des négociations.

Et si le gouvernement fédéral tombait à cause, par exemple, d'un pacte international non contraignant ? Que faire alors ? De nouvelles élections ? Dans les entitées fédérées, ce serait difficile, puisqu'elles ont un parlement de législature. Alors quelle nouvelle équipe, puisque le système exigerait que les mêmes partis s'assoient à nouveau autour de la table?

Mais nous gardons la cerise sur le gâteau pour la fin : que se passerait-il si la N-VA et le Vlaams Belang formaient ensemble un Gouvernement flamand ? Et, puisque certains aiment voir dans le PTB  un équivalent du Vlaams Belang, que faire si le Gouvernement wallon comprend un jour le PTB ? Quelle stabilité notre pays aura-t-il alors dans les grands dossiers ?

Une politique belge nécessite un électorat belge

Les dossiers fédéraux nécessitent une légitimité fédérale. Cela fait défaut aujourd'hui car la Belgique, en tant qu'État fédéral, est unique au monde, dans la mesure où elle ne compte actuellement que deux partis fédéraux : le PTB-PVDA et le Vlaams Belang. Ainsi, en 2003, 2007 et 2019, le Vlaams Belang a déposé des listes électorales en Wallonie parce que c'était financièrement intéressant. Après tout, chaque voix exprimée, qu'elle se traduise par un siège ou non, entraîne une augmentation des recettes, conformément aux règles de financement des partis. C'est habilement joué, mais cela fait du Vlaams Belang un véritable parti belge. La politique peut aussi être joyeusement ironique.

La position de B Plus est bien connue : si l'on veut que les décisions sur les grands dossiers difficiles soient soutenues aussi largement que possible au niveau fédéral, il faut avoir le courage de les défendre au niveau fédéral. Comme on le sait, en l'absence de partis fédéraux, une partie de la solution réside pour nous dans une circonscription fédérale.

Ce serait une bien meilleure façon de donner une voix à tous les électeurs belges. L'exigence d'une double majorité laisserait au contraire structurellement 10% de l'électorat (Bruxelles et l'Ostbelgien) sur le carreau, sans parler de l'instabilité inhérente à ce modèle, avec ou sans deux premiers ministres en alternance (ce qui serait d'ailleurs contraire à la Constitution). Ce modèle n'est donc une solution adaptée que pour un problème créé de toutes pièces: le mythe des deux démocraties.

La fin du mythe des deux démocraties 

Il est temps de voir l'éléphant dans la pièce: il n'existe de majorité qualifiée ni pour une coalition miroir obligatoire, ni pour la circonscription fédérale. Pas encore. Mais le mantra des deux démocraties s'use et se déchire. Tout d'abord, à l'été 2020, pour la première fois, une formation gouvernementale a échoué sur, entre autres, le fait de vouloir trop démanteler la Belgique. En outre, la re-fédéralisation en tant qu'option politique, est également devenue progressivement plus populaire (CRISP, octobre 2022). On est encore loin d'une majorité des deux tiers, mais on ne peut plus faire rentrer ce génie dans la bouteille, au grand regret de ceux qui le voudraient.

La crise du Covid-19 a donc été une leçon dure mais instructive. Il en va de même pour le défi de la transition énergétique. Le système bipolaire actuel est usé.

Enfin, il semble qu'il existe bel et bien un public électoral fédéral. Sinon, comment se fait-il que 63% des Flamands soient si fous qu'ils souhaitent apparemment plus de Belgique (De Stemming, mai 2021) ? Sinon, comment une recherche pourrait-elle montrer que les opinions des Flamands et des Wallons sur la plupart des sujets brûlants sont en fait beaucoup plus proches les unes des autres qu'on ne l'imagine habituellement (étude Represent, juin 2019) ?

Il n'y a pas de loi contre les partis fédéraux

Soit dit en passant, en attendant une circonscription fédérale, aucune loi n'interdit aux partis de se présenter dans tout le pays, comme le font le PTB et le Vlaams Belang. Les libéraux, ainsi que le CD&V et Les Engagés se présetnent déjà ensemble à Bruxelles. Ne pas le faire aujourd'hui, avec tous ces défis, est beaucoup moins logique que le faire à l'avenir. Non seulement les autres partis se laissent ainsi manger le pain dans la bouche par le Vlaams Belang et le PTB, mais plus fondamentalement, ce devrait être la chose la plus normale au monde pour quiconque aspire à prendre la responsabilité du pays tout entier: se présenter  dans l'arène électorale devant sa population toute entière.