Il a semblé pendant un moment que nous avancerions tranquillement jusqu’à la période des fêtes. La formation gouvernementale de traîne en longueur, mais sans crises majeures. Le formateur De Wever reçoit pour l’instant prolongation sur prolongation de sa mission, à présent jusqu’au 7 janvier 2025. Pendant ce temps, le gouvernement en affaires courantes gère les affaires quotidiennes, et le parlement fédéral n’a pas grand-chose à faire. Peu de nouvelles à recueillir rue de la Loi. L’ambiance semblait aussi morose que la météo des dernières semaines.

Qui aurait pu penser que cest un accompagnateur de train de la SNCB qui allait mettre un peu d’animation ? Il a commis une erreur en saluant les passagers, à une minute à peine de la frontière de la Région bruxelloise, non seulement avec « Goeiendag », mais aussi avec « Bonjour ». Un passager l’a mal pris et a déposé une plainte auprès de la Commission permanente de contrôle linguistique. Les faits remontent visiblement à quelques temps, mais dans l’atmosphère morose précédant les vacances de Noël, ils ont tout de même suscité une véritable agitation dans la rue de la Loi. À en juger par les éclats de voix au parlement fédéral, où le président du CD&V, Sammy Mahdi, s’en est pris au ministre fédéral de la Mobilité à propos de cette affaire, on aurait presque cru revivre la seconde moitié du siècle dernier, lorsque les conflits linguistiques étaient à leur paroxysme.

Soyons clairs : pour moi, l’auteur de la plainte mérite sans aucun doute le prix du rabat-joie de l'année. Sur leplan juridique, il marque cependant un point. La loi reste la loi. Et si cela pose problème, il faut réunir une majorité politique pour la modifier. Cela dit, il convient de préciser que la salutation incriminée n’a pas été faite via le système de sonorisation, mais dans un contact direct entre l’accompagnateur et le passager, dans la voiture elle-même. Du point de vue de l’accompagnateur, il s’agissait d’une question de courtoisie de saluer les passagers dans les deux langues. Cela me semble être un réflexe humain tout à fait normal. Heureusement, les réactions politiques montrent que tout le monde s’accorde à dire que cet homme ne mérite ni goudron ni plumes. Même son employeur, la SNCB, l’a défendu. Et c’est une bonne chose. Car pour la SNCB, tout comme pour l’accompagnateur, c’est le passager qui importe.

En saisissant cet incident pour plaider une assouplissement de la législation linguistique, le ministre Gilkinet toutefois est tombé dans un piège. Il a sous-estimé la sensibilité persistante de la question linguistique en Flandre. Ce n’est pas incompréhensible pour quiconque connaît un tant soit peu notre histoire. Bien que les circonstances soient différentes aujourd’hui de celles qui ont conduit à l’adoption des lois linguistiques, il reste vrai que le néerlandais, sans protection face à une langue plus forte comme le français, serait toujours en position de faiblesse. Gilkinet n’avait certainement pas de mauvaises intentions, mais il a oublié que la meilleure manière de dynamiter la Belgique est de toucher à la législation linguistique. Il a même offert à François De Smet, ancien président du désormais moribond Défi, un petit moment de gloire. 

Le fait que cet appel à assouplir la législation linguistique soit survenu précisément la semaine où l’objectif du Gouvernement de la Communauté française de rendre le néerlandais obligatoire dans l’enseignement francophone a de nouveau été reporté, n’a certainement pas aidé. Mahdi a ainsi lancé à Gilkinet qu’il aurait mieux fait de s’assurer que cette obligation ait été mise en œuvre lors de la législature précédente. Il a qualifié ce manque de pure honte. Fondamentalement, Mahdi a raison. On n’est pas cohérent lorsqu’on clame « Vive la Belgique » tout en ne connaissant pas, ou pas assez, la langue de l’autre. Mais d’un autre côté, on aurait dit que Gilkinet était à ce moment-là identifié à toute sa communauté linguistique. Ce qui n’est pas juste non plus. Si aujourd’hui il n’y a toujours pas d’enseignement obligatoire du néerlandais dans l’enseignement francophone, Écolo est certainement le parti francophone à qui il faut le moins le reprocher. Il serait plus opportun de regarder du côté du boulevard de l’Empereur.

Tout ce tintamarre est, selon moi, surtout un nouvel exemple du mauvais spectacle offert par la  politique. Tant à Bruxelles qu’au niveau fédéral, plus de six mois après les élections du 9 juin 2024, il n’y a toujours pas de gouvernement. Au lieu de se disputer pour la déclaration la plus retentissante sur cet incident somme toute banal, les responsables politiques devraient se concentrer sur des priorités bien plus importantes. En gonflant cet incident avec un accompagnateur de train brave et bien intentionné de manière totalement disproportionnée, la classe politique témoigne avant tout de son impuissance quant aux vrais enjeux.

Entre-temps, il est désormais mondialement connu qu’en Flandre, on se fait réprimander lorsqu’en tant qu’accompagnateur de train, on dit courtoisement « Goedemorgen – Bonjour » aux passagers au mauvais moment. L’incident a même été relaté outre Atlantique. Ceux qui souhaitent présenter la Flandre comme une nation chaleureuse et accueillante où chacun se sent chez soi ne peuvent guère s’en réjouir. Sauf peut-être parce qu’au niveau international, c’est finalement surtout l’image de la Belgique qui en pâtit.