Dans une opinion publiée par Marianne le 4 septembre dernier, le militant wallon Jules Gheude annonce une fois de plus la disparition imminente de la Belgique et réclame dans cette perspective le rattachement de la Wallonie, la partie francophone du Royaume, à la République française. Il est important de recadrer le propos et de ne pas laisser nos amis français se méprendre sur la situation de la Belgique et de la Wallonie.

Éclatement imminent de l'État belge ?

Cela fait quarante ans que Jules Gheude annonce la fin imminente de l'État belge. Force est pourtant de constater que, malgré les tensions communautaires auquel le pays est régulièrement soumis, le Royaume de Belgique s'apprête à fêter les 200 ans de son indépendance. Malmenée, réformée, bricolée de façon pas toujours très heureuse, la Belgique est toujours là, n'en déplaise tant aux nationalistes flamands qu'aux rattachistes wallons. Comme le rappelle fort opportunément Monsieur Gheude, l'État belge est tellement solide qu'il a survécu à une crise politique qui l'a privé durant 541 jours de gouvernement fédéral. Si dans de nombreux pays, une telle situation aurait pu rapidement dégénérer en crise institutionnelle, voire en guerre civile, les Belges furent suffisamment confiants en leurs institutions - qui ont au demeurant continué à fonctionner conformément à l'état de droit - pour rester calmes et attendre que cela passe. Au bout de 541 jours, un gouvernement a effectivement pu prêter serment entre les mains du Roi ; les choses sont rentrées dans l'ordre.

L'indépendance de la Flandre

Politiquement, la question de l'éclatement de la Belgique est une question qui se pose surtout en Flandre. Dans cette région, deux partis nationalistes mettent en effet les esprits sous pression et risquent de compliquer sensiblement la formation d'un gouvernement fédéral après les prochaines élections. Constatons cependant que leurs visées séparatistes sont loin d'être partagées par tous les Flamands, y compris par leurs propres électeurs. Les enquêtes les plus sérieuses sur le sujet montrent que les séparatistes constituent environ 15 % de la population flamande et que ce chiffre est stable depuis plusieurs décennies. Une enquête récente (De Stemming, 2021) a même indiqué que 63 % des Flamands souhaitent que plus de compétences soient ramenées dans le giron fédéral.

Les inondations catastrophiques qui ont frappé la Wallonie en juillet 2021 ont suscité en Flandre un élan spontané de solidarité qui en a surpris plus d'un : celui-ci offrait spontanément son aide aux services de secours, celui-là offrait un logement à des familles wallonnes sinistrées, alors que d'autres contribuaient financièrement à la reconstuction. Cela dresse un tableau fort éloigné de celui d'une Flandre se refusant à la solidarité avec la partie méridionale du pays. Quand il s'agit de solidarité et de coopération, les Belges se montrent souvent plus visionnaires que leurs responsables politiques. On peut s'en réjouir.

La Wallonie face à la France

Comme toute région francophone, la Wallonie a des liens culturels évidents avec la France. Ceux-ci sont d'autant plus forts que les Wallons sont frontaliers de la France, s'y rendent régulièrement pour le tourisme ou les affaires, et sont abreuvés au quotidien de médias français. Pour beaucoup d'artistes belges francophones la réussite passe également par le succès dans l'Hexagone. Les affinités s'arrêtent cependant ici. Fondé en 1999, le Rassemblement Wallonie-France (RWF), le seul parti politique plaidant ouvertement pour le rattachement de la Wallonie à la France, n'a jamais obtenu plus de 2 % aux élections. Ceci en dit long sur la popularité de ses thèses auprès des Wallons.

Si, comme le rappelle Jules Gheude, la Wallonie a bien été française durant vingt ans, il s'agit d'une annexion militaire qui a frappé tout le territoire qui constitue la Belgique actuelle. Celle-ci n'a guère laissé de bons souvenirs, pas plus à Namur et à Charleroi qu'à Anvers ou à Gand.

N'en déplaise aux mouvements séparatistes du Nord comme du Sud, la Belgique est et reste la maison commune à laquelle la très grande majorité des Belges continue à s'identifier. Que cette identification prenne des tonalités différentes en fonction des individus et des sensibilités politiques n'a rien d'anormal dans un État démocratique.

La France face à la Wallonie

Que la majorité des Français éprouve de la sympathie pour la Wallonie ne peut évidemment que nous réjouir. Que certains responsables politiques français ne cachent pas leur enthousiasme à s'emparer de la moitié d'un État voisin et ami laisse toutefois songeur. Les contorsions constitutionnelles auxquelles les rattachistes wallons voudraient soumettre la France pour lui permettre de les accueillir montrent quant à elles les limites de l'exercice. D'une part, l'on voudrait faire de la Wallonie une partie de la grande République française. D'autre part, l'on voudrait, pour ce faire, porter atteinte à des principes aussi fondamentaux que l'unicité et l'indivisibilité de cette même République. Qui ose donc demander à un État de 60 millions d'habitants de renoncer à ses principes de base pour accueillir 4 millions de Wallons ?

Les Wallons, les Flamands, la Belgique

La vie politique en Belgique n'a rien d'un long fleuve tranquille. En bientôt 200 ans d'existence, l'État belge a subi de multiples transformations. Toutes n'ont pas été heureuses. Mais force est de constater que toutes ces crises et toutes ces réformes sont restées inscrites dans le cadre de l'État de droit. Même modifiée en profondeur, c'est toujours la Constitution du 7 février 1831 qui régit les institutions du Royaume. Combien d'États contemporains peuvent se vanter d'une telle continuité politique et juridique ? Nos voisins français ne doivent pas se méprendre : la Belgique restera longtemps encore leur voisin, leur partenaire européen, leur allié et, pour beaucoup d'entre nous, leur ami. Rien de plus, rien de moins.