Frédéric Amez répond à une opinion du Pr Bart Maddens (Knack.be, 23 novembre 2019)

La sagesse populaire dit qu’en Belgique, tout est communautaire. Nous dirons plutôt qu’en Belgique, tout peut être présenté comme communautaire par qui veut le voir ainsi.

Dans une récente opinion, le professeur Bart Maddens donne une parfaite illustration de ce principe. Évoquant l’actuel débat parlementaire relatif à l’assouplissement des règles encadrant le recours à l’avortement, il constate que les partis flamands s’opposant à l’adoption des propositions de loi à l’examen (CD&V, N-VA et Vlaams Belang) constituent la majorité du groupe linguistique néerlandais. Or, il est vraisemblable que ces propositions de loi soient quand même adoptées, grâce à une majorité largement constituée de députés francophones. La Flandre se verrait ainsi imposer par une majorité francophone une loi dont elle ne veut pas. Après avoir souligné l’incohérence des analystes « progressistes » qui estimaient en 2007 que la scission unilatérale de BHV par les partis flamands était inacceptable dans une démocratie consensuelle mais qui se réjouissent d’un passage en force dans les dossiers éthiques, l’éminent professeur n’hésite pas à comparer cette situation à celle où les Pays-Bas imposeraient soudainement leur législation libérale à une Flandre qui n’en veut pas.

Qu’il nous soit permis contester cette analyse.

Premièrement, il est hasardeux de comparer la scission de BHV en 2007 et l’actuel débat sur l’avortement. Lors des débats de 2007 sur BHV, c’est l’ensemble des parlementaires francophones qui s’opposait à l’adoption des propositions de loi. Ils pouvaient à ce titre utiliser la procédure de la sonnette d’alarme (qui nécessite les trois quarts des voix au sein d’un groupe linguistique), ce qu’ils firent d’ailleurs en 2010. Rien n’interdit aux parlementaires flamands de faire usage de cette même sonnette d’alarme pour bloquer les propositions de loi actuellement à l’examen. Force est cependant de constater que les trois partis cités par le professeur Maddens ne réunissent pas les trois quarts des voix au sein de leur groupe linguistique. Si les propositions de loi à l’examen sont adoptées, ce sera tout de même avec l’appui de 42 % du groupe linguistique néerlandais, ce qui est certes minoritaire, mais pas marginal.

Contrairement à ce que prétend le politologue louvaniste, ceci ne serait pas le résultat de « deux démocraties » mais bien le fonctionnement normal d’une démocratie (et pour éviter tout malentendu, qu’il soit bien clair que le soussigné a à titre personnel des objections fondamentales avec les textes à l’examen). Si l’on veut éviter ce type de situation, il faut réviser la Constitution de manière à imposer que le droit pénal fasse l’objet de lois spéciales, adoptées par une majorité dans chaque groupe linguistique. Ceci ne ferait cependant que renforcer le « verrouillage » de la Constitution dont se plaignent régulièrement les nationalistes flamands au motif qu’il empêche la Flandre d’user de sa force numérique et donne trop de possibilités de blocage aux francophones.

Deuxièmement, faire reposer sa démonstration sur un seul dossier est certes commode, mais il serait plus honnête d’utiliser un échantillon plus large. Combien de loi ont-elles été ainsi adoptées par une majorité parlementaire constituée d’une minorité du groupe linguistique néerlandais ? Quelques unes, assurément. Mais combien d’autres ont-elles été adoptées par une majorité parlementaire ne disposant que d’une minorité dans le groupe linguistique français ? C’est le cas de beaucoup de projets du gouvernement Michel, qui n’ont jamais reçu le soutien d’un majorité du groupe linguistique français, qu’il s’agisse, par exemple, de la prolongation des centrales nucléaires ou de l’organisation judiciaire. Ici aussi, c’est le fruit du fonctionnement normal d’une démocratie parlementaire et il faut s’en réjouir.

Troisièmement, comme le professeur le reconnaît lui-même, la campagne électorale n’a en rien porté sur la question de l’avortement. Il est donc abusif de dire que 58 % des Flamands se sont prononcés contre la libéralisation de celui-ci. On peut même penser qu’il est tout aussi abusif pour les auteurs des propositions de loi à l’examen de profiter de l’absence de gouvernement pour les pousser à la une des priorités du parlement. Cette remarque est cependant aussi valable pour la question communautaire. Cette dernière a aussi été absente de la campagne électorale, si bien qu’il est abusif de prétendre que 43 % des Flamand se sont prononcés en faveur du séparatisme (fût-il appelé confédéralisme). Les partis qui tenteraient de profiter de leur résultat pour bloquer les institutions et déchirer la Belgique abuseraient clairement du résultat des élections.

Faire passer un différend politique pour un conflit communautaire est commode pour qui veut attiser les tensions entre les deux côtés de la frontière linguistique. C’est une chose bien connue depuis la Question royale et la consultation populaire de 1950, lors de laquelle un clivage entre gauche et droite a rapidement été présenté comme un conflit entre Flamands et Wallons. Nous doutons cependant que cette façon de procéder soit de nature à favoriser le bon fonctionnement des institutions et l’intérêt général.