Frédéric Amez répond à une opinion de Claude Demelenne.
Dans une récente opinion publiée par Le Vif , Claude Demelenne se rallie à la thèse de Bart De Wever selon laquelle il y aurait deux démocraties en Belgique et que l’une, flamande, pencherait à droite, alors que l’autre, wallonne, pencherait à gauche. Les divergences entre l’une et l’autre seraient si grandes que ces deux communautés politiques n’auraient plus rien à se dire, ni à faire ensemble.
Depuis longtemps, B Plus dénonce cette thèse des deux démocraties inconciliables. Il est de la nature même du fédéralisme de permettre l’expression de volontés politiques distinctes à des niveaux de pouvoir distincts. Cela ne peut empêcher la constitution d’une majorité au niveau fédéral autour de questions dont la compétence revient à ce niveau de pouvoir. La difficulté de la situation actuelle tient au contraire à ce que trop de partis refusent la logique fédérale et tiennent à mêler des questions régionales et communautaires à la politique fédérale.
Le plaidoyer de M. Demelenne pour une Belgique a minima, dans laquelle l’autorité belge n’aurait plus que des compétences réduites aux Affaires étrangères, à la Défense et à certains aspects des Finances, repose sur quelques postulats qu’il est bon d’examiner de plus près.
Flamands et Wallons, des rêves différents ?
Un premier postulat est que Flamands et Wallons auraient des rêves tellement différents qu’ils ne seraient plus en mesure de faire quoi que ce soit ensemble. C’est certainement ce que les nationalistes aimeraient faire croire, se basant sur le résultat des élections : la Flandre vote à droite, la Wallonie vote à gauche. Cette analyse simpliste doit être rejetée. Il ressort des études sérieuses effectuées par nos universités, tant flamandes que francophones, que les préoccupations des citoyens flamands et wallons présentent plus de similitudes que de différences. Qu’il s’agisse de politique sociale, d’âge de la retraite, de politique migratoire ou de sécurité, les aspirations des Flamands ne sont guère différentes de celles des Wallons. Elles se traduisent cependant différemment dans les urnes, simplement parce que l’offre politique est différente des deux côtés de la frontière linguistique. Si un parti crédible défendait en Wallonie la politique migratoire et sécuritaire prônée par la N-VA, il ne fait guère de doute qu’il y trouverait des électeurs. Quant au Vlaams Belang, il a convaincu nombre d’électeurs flamands avec son nouveau programme aux accents sociaux.
Tout peut-il vraiment être scindé ?
Un deuxième postulat est que tout pourrait être scindé, y compris, par exemple, la SNCB, la police et la justice. Si l’affirmation est sans doute vraie sur le plan théorique, elle se heurte cependant rapidement à la réalité. Il suffit de contempler les embouteillages s’étendant tous les jours jusqu’à des dizaines de kilomètres de la capitale pour se rendre compte de ce que la scission de la politique des transports signifie concrètement en termes d'(im)mobilité. Si on peut tout scinder en théorie, sur un petit territoire comme celui de la Belgique, cela s’accompagne souvent d’une perte significative d’efficacité et d’une augmentation faramineuse des coûts.
La sécurité sociale, mère de toutes les scissions ?
Un troisième postulat est que, parmi toutes les matières à scinder, la sécurité sociale serait le point le plus délicat et que celui-ci nécessiterait l’élaboration d’un accord de solidarité sur le long terme afin d’éviter un trop grand appauvrissement de la Wallonie. Il n’est pas question de contester l’importance de la sécurité sociale ni la difficulté qu’il y aura à la scinder. Mais prétendre d’emblée que ce sera le point le plus délicat semble faire peu de cas d’autres dossiers tels que le partage de la dette publique, le statut de Bruxelles, ou encore le statut de sa périphérie flamande et des francophones qui y résident. En outre, prétendre scinder la sécurité sociale tout en maintenant des mécanismes de solidarité sur le long terme reviendrait à démonter ce qui existe et fonctionne pour le remplacer par quelque chose à créer de toutes pièces et qui, s’il fonctionne, produirait le même résultat. L’énergie du monde politique serait plus utilement investie dans d’autres dossiers.
Et en pratique ?
La thèse de M. Demelenne n’est pas seulement contestable quant aux postulats sur lesquels elle repose : elle l’est aussi quant aux solutions qu’elle préconise. Ces solutions peuvent se résumer comme suit : les francophones doivent accepter les revendications flamandes de scission de compétences et, en contrepartie, négocier des garanties en termes de solidarité inter-régionale à long terme et de statut des francophones de la périphérie flamande de Bruxelles.
La scission de ce qui reste de compétences fédérales est sans doute envisageable en théorie, mais le prix de sa mise en pratique serait insoutenable. L’expérience montre que chaque scission de compétences s’accompagne de la nécessité de conclure de multiples accords de coopération pour permettre simplement aux institutions de continuer à fonctionner ensemble sur le petit territoire belge. La conclusion de ces accords est laborieuse, prend beaucoup de temps, et se heurte à des contraintes politiques et techniques qui nuisent à l’efficacité politique et à l’intérêt des citoyens. Il suffit de savoir que plus de 15 ans furent nécessaires pour conclure un accord de coopération sur les fabriques d’église pour se rendre compte de ce que représenterait la conclusion d’un accord sur la sécurité sociale, sur l’impôt des sociétés ou sur un réseau de chemins de fer dont la petite région bruxelloise est le centre névralgique. La régionalisation de la police et de la justice conduiraient quant à elles à un accroissement des conflits de compétence, des litiges relatifs à l’emploi des langues ou de retard dans le traitement des dossiers, le tout aux dépens des justiciables et au plus grand bénéfice de la criminalité organisée.
Les contreparties envisagées en échange de ces scissions de compétences laissent songeur. Dans une Belgique « coquille vide », comment maintenir la solidarité inter-régionale souhaitée par M. Demelenne ? Il faudrait pour cela conclure un énième accord de coopération dont la technicité aurait de quoi effrayer les meilleurs juristes et économistes du Royaume. La négociation d’un tel accord ferait sans aucun doute passer le Brexit pour une aimable plaisanterie. Quant aux garanties pour les francophones de la périphérie bruxelloise, constatons simplement que celles-ci ont déjà été négociées, re-négociées, réglementées, légalisées et parfois même constitutionnalisées, sans que jamais ces mesures n’apportent de pacification durable. Pourquoi en serait-il autrement dans la Belgique a minima ?
La Belgique a minima, qui ressemble à s’y méprendre au « modèle confédéral » cher à la N-VA, n’est pas une solution : ce sont les problèmes actuels poussés à leur paroxysme.
Pour une septième réforme de l’État
La réponse aux sirènes nationalistes n’est pas de chanter avec elles. On s’étonne de voir M. Demelenne tomber dans un piège qu’il fut autrefois si prompt à dénoncer (comme le révèle par exemple le peu d’attention qu’il accorde dans sa prose aux questions bruxelloises). On s’accorde cependant avec lui sur deux points : la nécessité de cesser de diaboliser les Flamands et celle d’une septième réforme de l’État.
Une septième réforme de l’État ne doit pas aggraver les problèmes actuels, mais bien réparer les scories accumulées au cours des six réformes précédentes. Les institutions fédérales doivent être modernisées en vue de plus d’efficacité et de plus de légitimité démocratique. C’est pour cette raison de B Plus plaide depuis longtemps avec d’autres organisations pour la création d’une circonscription électorale fédérale. La répartition des compétences doit être rationalisée et clarifiée, dans le respect du principe de subsidiarité : l’autorité fédérale doit recevoir les moyens d’agir là où les collectivités fédérées se montrent incapables de mener une politique efficace. La re-fédéralisation de certaines compétences ne doit pas être un tabou.
Une réelle modernisation des structures de l’État belge demandera cependant à chacun le courage de lever certains tabous. Pour les francophones, cela consistera certainement à montrer de manière convaincante que la Belgique est pour eux plus qu’un moyen de bénéficier de la solidarité flamande, par exemple en rendant enfin l’apprentissage du néerlandais obligatoire dans l’enseignement francophone. Cela consistera aussi à lever certains tabous institutionnels afin que les mécanismes légitimes de protection de la minorité francophone ne se transforment pas en méthode de blocage systématique des institutions.
Le « confédéralisme » ou la « Belgique a minima« , c’est fuite en avant et la politique du pire. Ce dont nos concitoyens ont besoin, c’est d’un nouvel élan et d’un nouveau projet pour la Belgique.