Il y a quelques semaines, le Vlaams Belang a dévoilé son « plan pour l’indépendance de la Flandre ». Le parti d’extrême-droite n’est pas le seul à avoir détaillé la manière dont on entend dépasser le fédéralisme belge, que ce soit pour aboutir à l’indépendance de la Flandre ou au confédéralisme prôné par la N-VA. Mais tous ces projets souffrent de deux graves carences puisqu’ils méconnaissent tant le rôle et la place de Bruxelles que les contraintes internationales qui s’imposent à la création d’un nouvel État.
La fiction d’une négociation avec la seule Wallonie
Les négociations concernant une indépendance de la Flandre seraient extrêmement complexes et il serait fastidieux de faire ici l’inventaire des épineuses questions à résoudre. Concentrons-nous sur les protagonistes prévus pour cette négociation. Dans son plan, le Vlaams Belang ne déroge pas à la vision flamingante considérant qu’il n’y a que deux acteurs en Belgique : la Flandre et la Wallonie. Or il y a deux autres acteurs qui existeront toujours, en tout cas lorsque la négociation débutera : la Belgique et Bruxelles.
Commençons par le plus évident : une négociation visant à séparer un État ne se fait pas entre deux entités de cet État mais entre l’État central et l’entité aspirant à l’indépendance – ici la Belgique et la Flandre. On fait alors comme si le résultat de la fin de la négociation (la disparition de la Belgique) était déjà une réalité avant que celle-ci ait commencée. Si cela correspond bien à la vision, mainte fois répétée, selon laquelle la Belgique n’existe pas mais est composé uniquement de Flamands et de Wallons, celle-ci ne correspond pas à la réalité juridique et institutionnelle. Si des négociations pour l’indépendance ou le confédéralisme devaient avoir lieu, l'autorité fédérale aurait son rôle à jouer, même si le gouvernement était en affaires courantes. Politiquement, on voit d’ailleurs mal pourquoi les partis flamands du gouvernement fédéral décideraient de se mettre hors-jeu. Dans l’opposition au niveau flamand, ils ne manqueraient certainement pas cette occasion de démontrer que l’indépendance est infaisable, et que la majorité de Flamands qui y sont opposés ont des raisons tout à fait fondées pour cela.
L’autre acteur manquant est Bruxelles. La question de la capitale du pays est l’obstacle le plus souvent avancé à une scission de la Belgique. Le Vlaams Belang traite cette question avec désinvolture : il suffirait d’assurer aux Bruxellois qu’ils pourront continuer à parler français et de leur faire miroiter l’intégration dans un pays prospère pour qu’ils rejoignent le nouvel État flamand. Sur le plan politique, on peut douter que les Bruxellois souhaitent intégrer un État dirigé par un parti d’extrême-droite. Rappelons que Bruxelles est l’une des villes les plus multiculturelles au monde, avec 6 bruxellois sur 10 qui ne sont pas nés en Belgique. Le plan confédéral de la N-VA est plus subtil, puisqu’il maintient une autonomie bruxelloise au prix du Brussels Keuze, les Bruxellois devant choisir entre l’adhésion au modèle flamand et au modèle wallon. Outre le côté difficilement praticable, ce projet correspond bien à la vision, totalement dépassée aujourd’hui, de Bruxelles comme lieu de rencontre entre les communautés flamandes et francophones. La Belgique est certes le pays du surréalisme, mais demander à un Polonais ou à un Grec de choisir d’adhérer au modèle « wallons » ou « flamand » semble un peu excessif de ce point de vue.
Mais ce que les nationalistes Flamand oublient toujours c’est que, dans l’hypothèse toute théorique d’une séparation de la Belgique, le choix de Bruxelles ne se limiterait pas à choisir entre la Wallonie et la Flandre. Elle pourrait également devenir un État indépendant, qui serait d’ailleurs le plus riche des trois issus de la Belgique. En effet, les navetteurs se transformeraient alors en travailleurs frontaliers et, en vertu du droit international, paieraient leurs impôts sur leur lieu de travail. Cet impôt remplirait les caisses du nouvel État bruxellois, à la mesure d’un PIB par habitant qui est l’un des plus élevés d’Europe. Quoi qu’en pensent les nationalistes flamands, Bruxelles est très officiellement une des trois régions de la Belgique. La considérer comme inférieure ou illégitime n’enlève rien à cet état de fait. Dès lors, si la Flandre a le droit de devenir indépendante, pourquoi la Région bruxelloise ne le pourrait-elle pas ? Dans ces circonstances, on se demande bien pourquoi les Bruxellois voudraient partager leur richesse pour devenir une minorité dans une Flandre indépendante et nationaliste. En somme, les nationaliste flamand doivent réaliser que Bruxelles n’est pas forcément un objet que Wallons et Flamands peuvent se partager mais un véritable acteur.
En outre, l’exemple du « divorce de velours » tchécoslovaque, régulièrement brandi par tous les indépendantistes en Europe comme une séparation d’État facile et sans heurts, n'est pas pertinent pour la Belgique. Cette séparation, qui s’est faite sans aucune consultation des populations, est un cas tout à fait exceptionnel. Et si elle s’est réalisée aussi facilement, c’est notamment parce que Prague n’était pas peuplée à 90% de Slovaques ou d’étrangers.
L’interdiction de la déclaration unilatérale d’indépendance
L’absence de volonté de la population flamande pour l’indépendance a déjà été largement évoquée par des responsables politiques. Il convient en revanche d’insister sur un point rarement évoqué par les nationalistes imaginant une indépendance de la Flandre. : l’interdiction d’une déclaration unilatérale d’indépendance. Ceci est d’autant plus important que, vu les exigences posées par les nationalistes flamands (en particulier concernant Bruxelles), il y a peu de chance qu’une négociation aboutisse. L’alternative est une déclaration unilatérale d’indépendance. C’est oublier qu’une telle pratique est aujourd’hui proscrite par la coutume internationale en matière de reconnaissance de nouveaux États. Depuis la fin de la décolonisation, la règle est la suivante : un nouvel État est reconnu si son indépendance est acceptée par l’État dont il est issu, elle est refusée sinon. La tentative de déclaration unilatérale d’indépendance catalane, survenue en 2017, est venue puissamment rappeler ce principe. Il ne s’est alors trouvé aucun État européen pour soutenir, de quelque manière que ce soit, l’aventure initiée par le gouvernement catalan. On peut d’ailleurs aisément les comprendre : dans une Europe traversée par de multiples tendances séparatistes, c’eut été un bien mauvais signal que d’encourager la sécession catalane. On peine à voir pourquoi les États européens seraient plus conciliants avec une indépendance flamande.
Le déni de la réalité
En conclusion, le plan du Vlaams Belang pour l’indépendance se heurte aux même écueils que bien d’’autres projets du même acabit avant lui : le sort de Bruxelles, l’absence de volonté de la population flamande et les contraintes internationales.
Concernant Bruxelles, on peut douter que la garantie de pouvoir continuer à parler français et la perspective faire partie d’un ensemble prospère suffise à rendre la très multiculturelle population bruxelloise désireuse d’intégrer une Flandre dominée par des partis nationalistes.
Le manque de soutien populaire à l’indépendance est tout simplement ignoré. Aucune consultation populaire n’est prévue pour valider cette indépendance, que ce soit en Flandre ou à Bruxelles. Quelle étrange manière d’affirmer la souveraineté du « peuple Flamand » de ne même demander son avis sur une décision aussi fondamentale !
Les réactions internationales et la difficulté – pour ne pas dire l’impossibilité – d’être reconnu en cas de déclaration unilatérale d’indépendance ne sont pas non plus évoquées. Finalement, le principal intérêt de ce plan en plusieurs étapes réside peut-être dans la première d’entre elles : former un Gouvernement flamand associant le Vlaams Belang et la N-VA. En cas de refus de cette dernière, cela permettrait au Vlaams Belang de lui reprocher d’avoir raté cette occasion historique de proclamer l’indépendance flamande. Bref, la sortie de ce « plan » est un acte purement politique visant à donner un sens à une coalition Vlaams Belang/N-VA en 2024 : celui d’un projet d’indépendance qui n’aboutira de toute façon pas.